• Si l'image du vampire et son profil ont énormément évolué au fil des année, il en va de même pour ses faiblesses et ses pouvoirs surnaturels. Ainsi on lui prête facilement une aversion certaine pour l'ail qui l'indispose, tradition tombée depuis en désuétude et dorénavant réservé à un traitement comique ou classique du vampire. L'eau bénite le blesse comme de l'acide. Il ne peut franchir l'eau courante ni le seuil d'une maison sans y avoir été invité. Son immortalité n'est déjouée que par un pieux dans le coeur, une décapitation ou l'absorption de sang mort qui à l'effet du poison. Il peut prendre différentes formes animales allant du loup à la chauve-souris en passant par le rat, et peut aussi se transformer en brume. À ces commandements ajoutons l'impossibilité d'avaler autre chose que du sang frais, la nourriture et l'alcool devant être régurgités quelques heures seulement après ingestion. Des déficiences qui sont autant de moyens de protection.

    Si la plupart de ces restrictions sont observées avec plus ou moins de rigueur dans les romans et les films, il en va tout autrement des points suivants, dont l'application est laissée à la discrétion de l'auteur / réalisateur. Dès lors, l'absence de reflet dans les miroirs n'est usitée q e lorsqu'elle sert le récit, le reste du temps le vampire parvenant à se regarder. Idem pour les crucifix qui les repoussent (voir les brûlent ) ou deviennent sujet de moqueries de la part des vampires déclarant aimer les contempler. L'anéantissement résultant d'une exposition au soleil est apparu en 1922 dans Nosferatu de F.W Murnau avant de s'imposer comme un principe majeur de destruction vampirique. Cette règle, que l'on pense à tort être un antique héritage, est remise en question régulièrement, certains vampires n'étant que diminués sous la lumière solaire. Reste que tous possèdent une force colossale, un charisme hypnotique leur permettant de prendre facilement le contrôle d'un esprit faible et surtout une libido exacerbée impliquant la présence abondante de sang.

    Au fil des années, le mythe a su se transformer pour élargir son champ d'action et ses capacités narratives. De la créature difforme de ses débuts jusqu'au prédateur sautillant, les vampires sont parvenus à écrire leur propre histoire dans laquelle ils ne sont plus simplement des monstres sans âme ni sentiments. Reste à savoir quelle sera la prochaine étape.

    « Donc, belle dame, vais-je te faire vivre pour toujours ? Oui ? J'en suis heureux. Prends mon bras, ma chère. As-tu peur à présent ? Tu devrais. » (Vampire la Mascarade).

    Tomas Debelle


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  • Le cinéma répercute cette évolution nécessaire et salvatrice avec une certaine réussite (Génération perdue – 1985, Aux frontières de l'aube – 1987), déclanchant une vague de sympatie et d'interet pour cette espèce. En 1991, le jeu de rôle Vampire la Mascarade enfonce le pieux et reprend à son compte les écrits d'Anne Rice. Une réussite sans précédent dans le domaine qui conduit à une adaptation télévisée sous le titre Kindred : The Embraced (1996).

    À l'aube du nouveau millénaire, nul ne voit plus les vampires comme de banals suceurs de sang. Si, en 1992, Dracula se paie le luxe d'une production grandiloquente où il retrouve toute la magie de ses illustres prédécesseurs, l'heure n'est plus au classicisme. Du coup, Gary Oldman compose un compte alternant bestialité et douceur avec une verve surprenante de justesse. Les deux approches semblent devoir cohabiter sans jamais se faire défaut. Son Dracula, bien que situé dans le passé, est résolument contemporain pour ne pas dire avant avant-gardiste tant son charisme, sa physionomie et surtout son romantisme en parfont l'aura, le rapprochant ostensiblement de Lestat.

    Un parfum que l'on retrouve sur Angel dans la série éponyme, qui est un vampire humaniste qui finit par se ranger du côté des humains, luttant désespérément contre ses instincts dans l'espoir d'une non-vie meilleure. Une dualité qui marque la troisième évolution du mythe dont Blade (1998) et Selene (Underworld – 2003) deviennent les porte-drapeaux. Tous deux sont des chasseurs, des guerriers lancés dans un conflit fratricide pour la sauvegarde des humains (Blade) ou la survie des vampires (Selene). Là, il n'est plus question de sang, de victimes et de crocs, mais d'êtres aux capacités hors normes luttant pour un idéal. Ancrés dans le XIXe siècle, ils ne partagent aucun trait avec leurs ancêtres à l'exception des canines. Rapides, mortels, déterminés et combatifs, ils sont la nouvelle génération.


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  • Il faut attendre la sortie du Cauchemar de Dracula en 1958 pour y découvrir un vampire plus réaliste dans son comportement tout en conservant le mystère qui entoure son existence. Christopher Lee est un point de non-retour entre l'antique et le moderne tant son interprétation tourne définitivement le dos aux terreurs d'antan. Le studio Hammer, s'il entretient la légende horrifique, y ajoute une dose de crédibilité en présentant le vampire comme une menace évidente, non par sa ressemblance avec une quelconque créature maléfique, mais par le parallèle criant qu'il suggère avec l'homme. Sexualité débridée, soif de conquêtes, quête du pouvoir, telles sont les ambitions du vampire sixties/seventies, miroir d'une société en pleine mutation et dont il incarne les interdits que l'on rêve de dépasser.

     

    1976 est une année cruciale qui voit la naissance d'un nouveau genre d'enfants de la nuit. Avec Entretien avec un vampire, Anne Rice signe un roman dense, complexe et foisonnant dans lequel elle explore une société vampirique vivant depuis des siècles en marge de la nôtre. Il est loin le temps des vampires arpentant les caves et donjons à la recherche du voyageur égaré. Lestat et consorts s'imposent comme la prochaine étape de notre évolution. Tour à tour raffinés, cruels, décadents, inspirés, grotesques ou troublants, ils symbolisent une liberté que l'on imagine totale mais que Rice présente comme une damnation. Le mot est lâché ! Les vampires sont maudits, condamnés à errer sans fin sur notre terre, à se cacher en raison de leurs faiblesses et se nourrir d'êtres humains considérés comme du bétail. Faisant voler en éclat l'imagerie traditionnelle du vampire, Anne Rice en propose une vision inédite, jusqu'au-boutiste et d'une puissance rare. Désormais, les vampires ne sont plus de lointains cousins des chauve-souris dont ils partageraient la tanière, mais bien les créatures torturées, prisonnières d'une condition peu enviable et témoins privilégiés d'une humanité moribonde dont ils aiment à se repaître. Le film qui en sera tiré en 1994 par Neil Jordan rend hommage au livre tout en offrant aux vampires une tribune internationale qui marquera instantanément le grand public.


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  • Depuis des siècles nous les craignons. Depuis des siècles, ils se terrent dans l'ombre de nos angoisses. Depuis plus d'un siècle, ils s'exposent sur nos écrans où ils sont à la fois terrifiant, charmeurs, dangereux et envoûtants. A n'en plus douter les vampires sont parmi nous et ils ont de multiples visages.

     

    Lors de sa première apparition majeure sous l'objectif de F.W. Murnau en 1922, le vampire adopte un physique monstrueux et repoussant en totale avec l'image que l'on s'en fait. Hypnotique, déroutant, tourmenté, Nosferatu est une bête se terrant dans l'ombre, qui attend patiemment la venue d'une victime dont la curiosité imprudente entraîne l'anéantissement. Il n'a rien de social ou d'amical, il est simplement guidé par sa soif de sang et la convoitise qui l'anime. Pourtant, au-delà de ce portrait manichéen, se dessine déjà le devenir d'une entité qui cherche désespérément à être autre chose qu'un vil prédateur.

    C'est ainsi que Tod Browning et Bela Lugosi, s'inspirant du roman de Bram Stoker écrit en 1897, nous proposent avec Dracula (1931) une vision plus humaine et mondaine mais tout aussi vénéneuse. Avec ce film, le vampire abandonne son linceul mortuaire pour le manteau de la civilité. Théâtral, exubérant dans ses attitudes et baroque dans sa tenue vestimentaire, il reste un être à part, difficile à situer dans le temps et à prendre au sérieux car trop caricatural.


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  • Abraham Stoker, dit Bram Stoker, est né le 8 novembre 1847 à Clontarf, au nord de Dublin. Après des études au Trinity College, il intègre l'administration dublinoise et rédige des critiques théâtrales pour le compte du Dublin Mail. En 1878, le comédien Henri Irvin lui propose de devenir son manager et l'administrateur du Lyceum Théâtre de Londres. Il y cumule alors les postes de gestionnaire, directeur artistique, costumier, chef décorateur et s'occupe du recrutement des comédiens et du calendrier des tournées. Malgré un emploi du temps surchargé il signe des nouvelles fantastiques, genre qu'il affectionne tout particulièrement en souvenir des histoire entendues durant son enfance. Son goût pour l'étrange le pousse à rejoindre la Compagnie des Beefsteaks, un groupe d'amateurs d'histoires insolites se réunissant toutes les semaines au Lyceum Théâtre. Il y fait la connaissance du docteur Arminius Vambery, professeur de langues orientales à l'université de Budapest. Ce passionné de surnaturel et de folklore relate à Stoker diverses légendes d'Europe centrale, notamment celle concernant le mythe entourant Vlad Tepes III, surnommé « l'Empaleur » . Fasciné par ses récits, Stoker entame des recherches pharaoniques sur le sujet, en s'intéressant particulièrement à l'ésotérisme. C'est à cette époque qu'il intègre la fameuse société secrète Golden Dawn, fondée en 1888 par le révérend Woodford, le docteur Westcott, William Woodman et Samuel Mathers, qui a pour l'étude et l'enseignement des sciences occultes. Durant plus de dix ans, Stoker accumule les notes, s'abreuve de récits souvent farfelus ou romancé et s'imprègne de tout ce qui compose cet univers trouble. Cette longue période gestationnelle abouti à la publication de Dracula en mai 1897 chez Archibald Constable & Cie.

     

    Dracula, dont l'action se situe entre l'Angleterre et la Transylvanie du XIXe siècle, est écrit sous forme épistolaire et se compose d'une suite de journaux intimes, d'articles de presse et de lettres des protagonistes. Rédigé à la première personne, ce choix narratif autorise la différence de points de vue et de perception du comte Dracula, le rendant plus ambigu et fascinant. Tout en conservant les bases du mythe vampirique (indisposition à l'ail, crainte de l'eau bénite et des crucifix, lecture dans les pensées, faculté de se transformer en animaux ou en brume, incapacité de franchir l'eau courante ou le seuil d'une maison sans y être invité), Stoker y introduit divers éléments devenus des caractéristiques classiques. Ainsi, Dracula ne se reflète pas dans les miroirs, est capable de se transformer en chauve-souris, supporte la lumière du soleil qui ne fait que l'affaiblir et peut être tué par un couteau au détriment du pieu en bois. Sans le savoir Stoker venait de créer l'archétype du vampire, le modèle sur lequel s'appuiera toute la mythologie, le père de tous les enfants de la nuit. Après ce chef-d'oeuvre, il a bien du mal à trouver un second souffle. Il termine sa vie comme il l'a commencée. Après la liquidation de son théâtre en 1903, il écrit plus par nécessité que par envie. Désireux de renouer à la réussite de Dracula, il termine en 1911 The Lair of the White Worm. Mais déjà la maladie l'accable, l'obligeant à rester au lit. Le 20 avril 1912, Bram stoker meurt des suites d'une insuffisance rénale.

     

    Des légendes séculaires à l'incontournable roman fondateur de Bram Stoker, le vampire a connu plusieurs vies à travers les âges jusqu'à prendre une forme plus humaine et donc plus dérangeante car proche de nous. Catalysant nos peurs ancestrales, cristallisant nos désirs enfouis et faisant office de catharsis face à la dualité qui habite chaque humain, les vampires fascinent autant qu'ils révulsent. Et le cinéma (souvent en lien avec la littérature) allait en perpétuer le mythe, le renouvelant, le modifiant et lui donnant moult visages jusqu'à en dresse une cartographie aussi perplexe qu'envoûtante.

     


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